Les Luminaires (1939 - 1955)

Regain, Monte-Carlo, 1956.


Quelques poèmes extraits du recueil vous sont proposés ci-dessous




Les Luminaires (1939-1955)





Mâyâ


I



Blanche magie,
Blanche d'écume,
Tu danses, ô très légère, sur les vertes collines,
Sur les grasses collines des éblouissements.

Danse Mâyâ sur les vertes collines,
Tes pieds sont innocents et ton geste s'inscrit
Dans une prunelle vide et incompréhensible.

Les bosquets sont, ce gai matin,
Hantés de formes nues dans les herbes fraîches.
Sur les plages il y a des algues sèches,
Des coquillages fragiles et lactescents.

Cronide orgueilleux qui rit,
Ton geste parricide fit
Jaillir Mâyâ blanche d'écume
De l'écume des divins débris.

Blanche magie, pétale d'argent,
Tu danses, ô très légère, sur les vertes collines,
Sur les collines chaudes, vertes et or, de l'orient.


II


Ceux qui ont levé le glaive meurtrier
Alors que tu dansais, fill adorable, sur les collines,
N'ont accompli sur eux-mêmes qu'une dérisoire mutilation.
Ce sont les fils d'Algol, qui te haïssent.

Mon savoir est le fruit d'une innocence désespérée,
Il a mûri dans les serres de mon enfance,
Et comme une bulle il a éclaté
Aux projections de la nuit éternelle.

Mais mon amour est une rosée,
Une buée qui monte de la terre en gésine,
Mais mon amour est une larme versée
Sur le drame des premiers âges.

Il y a des soirs d'émeraude,
Des matins de saphir, des matins de rubis
Il y a des clartés qui surgissent la nuit,
Et des saveurs de vie interdite.

Pourtant qui meurt a-t-il vécu ?
Nous portons l'éternité comme une poire d'angoisse,
Nous passons au travers des tumultes inscrits
Sur la moire sacrée, comme au travers d'un songe.


III


... Ces rauques appels, ces cris de guerriers
Qui se dénombrent dans la plaine
A l'aube, quand les ombres s'étirent démesurément,
Ces clameurs montent de mon empire.

Blanche magie,
Blanche d'écume,
Tu danses, ô très légère, sur les vertes collines,
Sur les grasses collines des éblouissements.



Ceux du déluge


A Charles Bertin


Ceux du déluge avaient les clés
Et les réserves de leur blés,

Ceux d'Atlantide avaient les charmes
Que nous recherchons dans les larmes,

Ceux des Thulés et ceux des Mers
Ceux des Pamirs et des Déserts

Avaient les Nombres et les Signes
Gravés sur les bois de leurs vignes :

Ceux d'aujourd'hui n'ont rien du tout,
Pas même un petit pain d'un sou,

Pas même l'étoile à cinq branches
Au front paisible des dimanches,

Pas même le bondissement
Des aurores au firmament,

Pas même un peu de neige dure
Pour y cacher leur pourriture :

Ceux de nos jours funestes font
Trois petits tours et puis s'en vont.




Images pour les temps qui viennent


I


Sur le parvis du temple de demain
Paraît celui qui porte un globe dans sa main.

C'est la sphère empourprée, emblème de son règne
Qui ruisselle à ses pieds comme une chair qui saigne.

-  C'est un coeur innocent qui palpite en tes doigts,
-  Qu'importe, si ce coeur a désiré mes lois ?


II


Des montagnes de blé s'entassent sur la place :
-  Mange, peuple affamé, mange devant Ma face,

Cependant que s'épand le flot des étendards
Que dressent vers le ciel des entraîneurs hagards,

Et que des traits de feu se joignent et se croisent
Dans l'espace éclatant où Mes rigueurs te toisent.


III


Le cercle de la mort sur lui-même revient
En son centre, debout, Ma Majesté se tient,

Et toi, foule pâmée, au terme de mon crime
Entends monter l'Esprit victorieux de l'Abîme

Et puisque dans Ma gloire immense tu me vois
Ris, ô mon peuple, ris, de l'Homme et de son bois !




L'origine des nombres




Du centre que nul oeil jamais
N'enfermera, du Yod mystique,
Jaillit, annel théogonique,
Au sein de l'éternelle paix,

L'onde vivante qu'un excès
Inconcevable et magnifique
Engendre dans un cri logique,
Zéro ! Cet autre que tu es.

Or parce que ce cercle immense
Qui te reflète et qui te pense
Se tient, Sagesse, autour de toi,

Tu deviens l'Un et tu te dresses
Droit comme un I dans les richesses
Qu'embrasse l'orbe de la loi.



Haut de la page

Retour à la page des textes

Retour à la page d'accueil